miercuri, 13 ianuarie 2016

Contes de la forêt musicale dans Bucharest Hebdo

"Mon rêve de rencontrer un enfant n'allant pas encore à l'école, qui parle tout aussi naturellement de Mozart que de Mickey Mouse ne semble plus inatteignable" La collection „Contes de la forêt musicale", qui associe, de manière accessible aux enfants, contes pour enfants et musique classique, vise à cultiver un public passionné de la musique classique dès sa petite enfance. Comme le disait l'auteur elle-même, Cristina Andone, „un public pour lequel Chopin ne ressemble pas, à l'oreille, à shopping, en aspirant négligemment la dernière consonne, et Bach ne soit pas un parent moins chanceux de Hornbach".
Chaque livre de la collection est accompagné d'un CD de musique des célèbres compositeurs.
Madame Cristina Andone a eu l'amabilité de nous donner une interview sur les „Contes de la forêt musicale" et sur ses sources d'inspiration - ses enfants.



Le reporter : Comment sont reçus vos livres sur le marché, compte tenu du fait que qu'il n'existe pas de public assez nombreux ayant une culture musicale ?
Cristina Andone : Les huit livres de la collection „Contes de la forêt musicale" étaient écrits justement pour créer, d'ici une vingtaine d'années, un public passionné de la musique classique. Un public qui ait vécu, de sa petite enfance, à proximité des grands compositeurs, un public pour lequel Chopin ne ressemble pas, à l'oreille, à shopping, en aspirant négligemment la dernière consonne, et Bach ne soit pas un parent moins chanceux de Hornbach.
Du point de vue du marketing conventionnel, la collection était positionnée de façon effectivement risquée : un produit premium, à un prix réduit, dans un grand tirage. Tous les arguments menaient à une variante correcte, à travers la publication de ces livres dans une édition de luxe, limitée. Certes, j'ai pris en considération l'absence d'un auditoire significatif dans la zone de la musique classique, ainsi que le mécanisme snobe de l'achat de produits culturels : on achète parce-que „ça fait chic" et/ou „parce-que c'est cher". Comme contre-argument, ma vision selon laquelle, en l'absence d'un geste courageux, nous n'allons jamais sortir du cercle vicieux „pas de public éduqué - pas de public pour lequel créer / interpréter".
J'ai donc mis dans la balance un rêve. Le rêve que la musique classique descende du socle doré de la haute culture tout droit sur l'étagère aux jouets. Le rêve que des frères jouent entre eux à Beethoven et non seulement le Bakugan. Le rêve que bientôt, un enfant demande à son père : "Hornbach de Bach ?". Ou, en poussant le rêve vers l'utopie, la possibilité que le même gamin, une fois adulte, renonce à une Maybach pour l'intégrale de Bach, plus quelques années de liberté.
Ce qui m'a donné du courage, c'est que lorsqu'on est enfant, on n'a ni préjugés, ni craintes, on n'a pas peur de la „musique lourde", si elle ne nous a pas été présentée comme telle. Nous somme dans une zone de la générosité du cœur et de la curiosité. Or, quel auditoire plus favorable pourrait-on trouver pour Vivaldi, Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Tchaïkovski ou Strauss ? Oui, j'ai mis un rêve dans la balance. Qui a fini par peser lourdement. Une fois de plus, les enfants ont eu raison.
Le reporter : Ce sont vos propres enfants qui ont été la source d'inspiration des contes. Le sont-ils restés, ayant pris de l'age ?
Cristina Andone : Thea et Sashi étaient plus qu'une source d'inspiration. Ils ont construit, par de différents cubes, la raison pour laquelle j'ai imaginé les contes. Pour ma fille, la musique classique a été le seul moyen de s'endormir en moins d'une heure. Ce fut elle qui, instinctivement, reconnaissait à moins de trois ans une pièce musicale comme appartenant à Mozart, Beethoven, Chopin ou à Strauss. C'est encore elle qui a voulu en savoir davantage sur la musique envoûtante qui nous enchantait tous les soirs. Pour Sashi, les contes musicaux furent la manière palpitante dont Bach et Beethoven sont devenus plus importants que Ben Ten.
Lorsque l'idée a pris forme, Thea et Sashi ont fait la sélection des contes qui méritaient d'être imprimés. Il faut préciser que les huit livres composant jusque là la collection des Contes de la forêt musicale ont été publiés lorsque mes enfants étaient agés de 6 et 4 ans respectivement. Aujourd'hui, Thea et Sashi jouent plutôt le rôle d'éditeurs, dans ce sens qu'ils me signalent lorsqu'un conte perd son élan, lorsque l'attention du lecteur se relache, lorsque des images ne sont pas assez parlantes. Voilà donc deux enfants et au moins quatre rôles : de muses, de public cible, de groupe focus et de censeur.
Le reporter : La musique classique a-t-elle toujours été présente dans votre vie, ou bien dans quelles circonstances l'avez-vous découverte ?
Cristina Andone : Je suis née dans une chambre dans laquelle le piano Bechstein de ma mère restait tranquillement à côté de l'étagère aux jouets. Dès le début, les touches en ivoire, les chandeliers en laiton et l'effigie en ébonite de Beethoven m'ont marquée plus que le joueur de tambour chinois, la poupée Nadia et le jeu de l'oie (lorsque j'ai enfin eu un frère, les choses ont quelque peu changé). Tous les soirs j'écoutais, aux côtés de mon père, le concert de Radio Roumanie Muzical et, dès mes cinq ans, nous nous amusions à reconnaître les compositeurs. C'est à cet age que j'ai pris les premières leçons de piano avec une dame dont les yeux verts et les bagues aux émeraudes me fascinaient en égale mesure. Il s'agit donc de l'enfant unique dont les parents jeunes, intellectuels, projettent respectivement sur lui leurs aspirations artistiques (la mère) et leur créativité et envie de jouer (le père). Je pense que j'ai été en bonne mesure l'expérience unique d'un médecin qui avait rêvé d'être écrivain et d'un ingénieur mélomane qui n'a jamais cessé de jouer.
Le reporter : Votre carrière dans la publicité vous manque-t-elle ?
Cristina Andone :Oui, parfois, surtout à travers le filtre de la nostalgie. Rationnellement, je sais que la publicité, telle que je l'ai connue en fin de millénaire, n'existe plus. J'ai connu l'aube romantique d'un corps de métiers qui prenait à peine forme, en Roumanie, préoccupé avant tout de ce qu'il avait à transmettre au monde. A l'époque, le temps n'avait pas de limites, pas plus que notre énergie. Ce furent dix années belles, intenses, irrépétables. Entre-temps, mes compagnons sont partis pour New York ou Londres ; ils se sont mariés, ils se sont séparés, ils ont des enfants, des prix et... des objectifs financiers. Aujourd'hui, la publicité se trouve sous le signe de la maturité, du point de vue de la mise en place du métier, et en même temps sous celui de la fragilité, si on pense à la fragmentation des objectifs et à la volatilisation des budgets. Mais même comme ça, je pense que pour moi, la publicité n'est pas un coffre fermé à jamais. J'en garde encore la clé, dans une poche près du cœur.
Le reporter : Aviez-vous imaginé que vous alliez devenir un écrivain ?
Cristina Andone : Oui, ce fut ma troisième option, après celle de lectrice et dévoratrice de pommes. Puise pour les deux premières je n'ai pas (encore) reçu d'offre, je m'en suis tenue dans la zone des tisserands de mots goûteux.
Le reporter : Comment êtes-vous parvenue à pénétrer sur le marché et surtout à vous faire un nom dans ce domaine ?
Cristina Andone : D'une certaine manière, chaque écrivain est un voyageur ou, si vous voulez, un pérégrin. Le plus simple serait de frapper aux portes déjà ouvertes. Dans ce cas, il peut être sûr que la voie qu'il a prise a déjà été suivie et que la bonne nouvelle qu'il apporte est un cliché, plus pale ou plus brillant. Ensuite, restent les portes qui s'ouvrent avec bienveillance, s'il est assez habile pour trouver la sonnette. Et enfin, celles verrouillées, qui semblent ne jamais devoir s'ouvrir. Pour cette dernière catégorie, je ne connais pas de meilleure clé que le temps.
Depuis la parution des huit livres de la collection Contes de la forêt musicale, près de quatre ans son passés. Les premières semaines après le lancement, il y eut un silence... comme avant un concert, je dirais aujourd'hui, rassurée par les 120.000 exemplaires vendus. Sont ensuite apparus les premiers commentaires. Ce qui a été déterminant, sans doute, ce fut les ateliers musicaux proposés par deux blogs importants, dont les auteurs sont devenus des amies : le Petit atelier de création de Camelia Vida Ratiu et les Oursons espiègles de Coca Asan. En plus, la présence dans les media à grande visibilité : une interview-marathon de 2 heures chez „Les gens de la Réalité" et un merveilleux moment chez Europa FM, réalisé par une bonne amie de la musique classique, Anca Gradinaru. Entre-temps, les lutins compositeurs ont inspiré des dizaines d'ateliers éducationnels. On peut les commander et les ranger sur l'étagère, aux côtés des autres jouets. Des milliers de contes musicaux ont rapproché les enfants de la musique classique. Des parents m'écrivent que leurs gamins de quatre ans préfèrent Chopin et qu'ils parlent avec un air tout naturel de Vivaldi, Mozart et Beethoven. Mon rêve de rencontrer un enfant n'allant pas encore à l'école, qui parle tout aussi naturellement de Mozart que de Mickey Mouse ne semble plus inatteignable.
Le reporter : A-t-il été difficile pour vous, de combiner les contes et la musique ?
Cristina Andone : Au début cela n'a pas été difficile, mais impossible ! Thea a été celle qui m'a posé la question, non-orthodoxe du point de vue de la théorie musicale : „quel est le conte que dit de cette mélodie ?" Certes, la musique et le seul art non-référentiel ; tout comme Dieu pour les religieux, elle est ce qu'elle est. Mais l'intuition de mon enfant de trois ans m'a ouvert une nouvelle voie. J'ai réalisé que la musique des grands compositeurs avait de la personnalité. Et c'est cet esprit, ce style que j'ai essayé de surprendre dans des images et le transposer dans des contes. J'ai beaucoup lu, j'étais ensuite à Harvard et pendant deux mois, j'ai cristallisé deux cartes comprenant les principaux attributs que la critique musicale rattache au style de chaque grand compositeur. Dans la publicité, les pas que j'ai parcourus représentent une méthode courante : ça s'appelle „brand audit" (l'analyse de la personnalité d'une marque) et „brand mapping" (la transposition d'attributs en images et ensuite dans des noyaux narratifs). C'est peut-être parce que la publicité, tout comme le jeune enfant, n'hésite pas à se poser des questions non-prévues dans les canons et à leur trouver des réponses bigarrées.
Le reporter : Parmi les contes que vous avez écrits, avez-vous un préféré ? Et si oui, lequel et pourquoi ?
Cristina Andone : „Ne m'oubliez pas". Mon conte préféré porte le nom de la petite fée aux cheveux violets, qui tente de rompre le charme de l'oubli en apprenant par cœur des nocturnes de Chopin.
Je pense que tout le monde a un mot-clé, une sorte de bout de chandelle qui l'amène à travers le monde. Qui lui brûle les doigts. Qui lui fasse roussir les cheveux. Et qui l'aide à se refléter dans les yeux des autres. Mon mot à moi, c'est l'oubli. Depuis toute petite, j'ai peur d'oublier les lieux que j'ai visités, les gens que j'ai aimés, les livres que j'ai lus, d'oublier ma clé dans la porte et la carte bancaire dans le distributeur. Je garde les mots d'amour et les billets de tram, les méls d'adieu et les cadeaux peu inspirés reçus pour mon anniversaire (que je ne fête jamais). Je ramasse une pierre dans chaque coin de la Terre qui m'a écorchée par sa beauté ou par son désert. Et Chopin et mon compagnon dans le pays de l'oubli. Il ne me submerge pas (comme Beethoven, Brahms, Schumann), il ne me plonge pas dans des profondeurs métaphysiques (comme Bach, Albinoni, Corelli), il ne m'appelle pas par des noms d'ange (comme Mozart). Il ne me soigne pas, il ne me dispute pas. Il m'accompagne.
Le reporter : Selon vous, qu'est-ce qui manque sur ce marché, en Roumanie ? Pensez-vous qu'il en serait différent, si vous étiez dans un autre pays ?
Cristina Andone : En tant qu'écrivain, ce qui me touche le plus, c'est notre manque, à nous les parents, de temps à dédier aux enfants. La collection „Contes de la forêt musicale" ne propose pas des devoirs à faire rapidement le soir avant de se coucher, pas plus que des tests d'intelligence. Mes livres ont besoin de tranquillité, d'une certaine complicité ludique entre parents et enfants.
Je crains qu'on parle là d'un trait du monde contemporain, franchissant les frontières nationales. Certainement, nous vivons dans une société plus compétitive que celle d'hier, mais de plus en plus pauvre en ce que les Français appellent le «savoir vivre»" : le savoir de transformer le fil de chanvre rêche du temps en contes.
Le reporter : Envisagez-vous de traduire vos livres en d'autres langues ?
Cristina Andone : Bien sûr, je serais enchantée de voir mes contes sortir des frontières de la Roumanie. Après tout, la musique est une langue universelle. Et un livre sur Chopin traduit en français ne serait qu'un tout naturel retour à la maison.
Le reporter : Allons-nous voir un nouveau livre signé Cristina Andone bientôt ?
Cristina Andone : Oh, oui ! Je suis en train de préparer un projet très cher à mon cœur : un livre sur George Enescu, le compositeur le plus proche de notre ame nationale. Le texte est déjà prêt. Depuis un an, Adriana et Sebastian Oprita, aidés par Thea, travaillent sur les illustrations, avec des images inspirées de la création populaire roumaine. Ce sera un livre tissé comme une „ïe" (sorte de chemisier - blouse traditionnel roumain, en tissu très léger - n.d.tr), avec labeur et patience. Nous espérons le publier pour la fête des „Sanziene", fête du soleil et du costume national. Ce qui est certain, c'est qu'au mois de février, nous allons commencer à frapper aux portes des maisons d'édition. Croisez les doigts pour nous, pour que nous trouvions, sinon une porte ouverte, au moins une sonnette qui fonctionne !


(  Bucharest Hebdo, 11/17 Jan 2016)

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